L’étude archéozoologique complète du site de Goudelancourt-lès-Pierrepont a été faite par Stéphane FRERE et Jean Hervé YVINEC du CRAVO *, elle n’est pas encore publiée.
Les explications ci-dessous figurent dans la vitrine consacrée à l’étude anthropologique (Vitrine O second étage du Musée de Marle).
Détermination du sexe
Pour quelques espèces, elle est relativement aisée du fait de différences anatomiques :
- Dans le cas du cochon, du sanglier et des équidés, la détermination peut s’effectuer à partir de la taille et de la morphologie des canines inférieures.
- Le coq possède un ergot qui n’existe pas chez la poule, le chien et l’ours se distinguent de leurs femelles par la présence d’un os pénien.
- L’insertion des ligaments pubiens sur le coxal (bassin) permet de distinguer la vache du bœuf.
Toutefois, ces ossements spécifiques n’existent pas chez toutes les espèces et ne sont pas forcément conservés, aussi la plupart du temps la détermination s’effectue à partir de simples mesures. Ces mesures sont codifiées, elles s’effectuent systématiquement sur des points identiques, elles permettent ainsi de comparer de manière rigoureuse différents individus.
Détermination de l’âge
A partir de l’épiphysation des os longs
La croissance d’un individu (homme ou animal) n’est possible que si le squelette qui soutient la masse musculaire peut croître proportionnellement. A la naissance chaque ossement est constitué d’un « long tube » (appelé diaphyse) et de deux extrémités comportant les surfaces articulaires (les épiphyses). Lorsque la croissance est achevée ces trois éléments se soudent pour former un seul est même os, il s’agit de l’épiphysation. Ce phénomène qui se produit sensiblement au même âge chez tous les individus d’une même espèce varie pour chaque os. Il est donc possible, en observant les différents éléments d’un squelette de connaître l’âge d’un individu.
Exemple : GLP 1028 humérus de bœuf épiphysé en partie distale et juste épiphysé en partie proximale (âge compris entre 20 et 42 mois).
A partir de l’usure dentaire
Les dents constituent un excellent indicateur. Chez les plus jeunes, la présence de dents de lait et l’apparition de certaines dents définitives permet de définir l’âge avec précision. Chez les adultes, c’est le niveau d’abrasion des dents définitives qui permet de leur attribuer un âge.
Exemple : Pour les dates d’éruption, mandibule de cochon GLP 1020 avec troisième prémolaire sortante et troisième molaire au stade de bourgeon (individu âgé de 12 à 14 mois) à comparer avec GLP 1055 mandibule de cochon avec première molaire sortante (individu âgé de 4 à 5 mois). Pour les stades d’usures, mandibule de boeuf avec sa dentition définitive âgé de 3 à 4 ans.
Intérêt
L’âge d’abattage des individus, associé au pourcentage de mâles et de femelles, fournit de nombreux renseignements quant à la gestion du cheptel et à l’utilisation qui en est faite.
Dans le cas du boeuf, un élevage à vocation bouchère nécessite d’abattre les individus âgés de 2 à 3 ans, c’est à dire au seuil de leur rentabilité pondérale (la production de veau reste anecdotique jusqu’à la fin du Moyen Age).
Dans le cas d’un élevage laitier stricto-sensu, seules les femelles et quelques mâles reproducteurs sont conservés. Les femelles sont rarement abattues avant 6 à 8 ans. Mais durant tout le Moyen Age, le boeuf est aussi employé pour sa force de traction animale et les individus mâles âgés sont dans ce cas favorisés.
Bien évidement plusieurs motivations peuvent présider aux choix de l’éleveur, les élevages mixtes sont fréquents et la plupart des animaux de réforme sont ensuite consommés.
La hauteur au garrot
Lorsqu’un os est conservé dans la totalité de sa longueur, il fournit des indications concernant la hauteur au garrot de l’individu. Cette information est intéressante dans le cas d’études sur de longs intervalles chronologiques, elle permet d’apprécier les choix en matière de sélection des espèces.
Ainsi le boeuf romain dont la taille moyenne oscillait entre 120 et 140 cm au garrot (mâles et femelles confondus) ne va cesser de décroître durant tout le Moyen Age. Au Haut Moyen Age, la moyenne n’est plus que de 112 cm. et elle descendra jusqu’à 109 cm. au XIIIe siècle.
Cette modification morphologique des individus entraîne une perte considérable de poids, il est donc peu probable qu’elle résulte d’un choix délibéré des éleveurs. Alors pourquoi cette dynamique? S’agit-il d’une perte du savoir-faire pastoral, d’une mauvaise sélection des reproducteurs ou d’une alimentation médiocre? La question reste en suspend.
Exemple : Métacarpe de boeuf GLP1016, hauteur au garrot 115 cm.
Les pathologies
Certaines maladies ou difformités sont perceptibles à partir du squelette. Elles indiquent l’état sanitaire du troupeau et dans certains cas reflètent des activités infligées à l’animal. Par exemple, les mors des chevaux entraînent une usure anormale des dents et l’utilisation prolongée du bœuf comme animal de trait provoque une usure et un écrasement des poulies.
Exemple : GLP Maison zone C zone B, métatarse de boeuf présentant une forte exostose (excroissance osseuse peut être due à une fracture).
La consommation
Le prélèvement des masses musculaires laisse de nombreux stigmates sur la charpente squelettique. Ces empreintes vont du coup de tranchoir destiné au traitement boucher de la carcasse jusqu’à de fines empreintes de raclure liées à la consommation. En outre la cuisson de certains morceaux avec l’os (cotes…) permet d’observer des traces de carbonisation.
Exemple : atlas de boeuf extérieur maison zone C ayant reçu un coup de couperet destiné à séparer la tête de la carcasse et extrémité de mandibule de boeuf carbonisée.
L’artisanat
Les ossements animaux fournissent une matière première abondante de qualité. C’est pourquoi ils ont régulièrement servi à la confection d’objets (peignes, boutons, poinçons, dés, perles, éléments de décoration…).
Certaines pièces anatomiques sont presque systématiquement préférées à d’autres de par leur facilité de travail, leur résistance ou leur rendu après travail. C’est le cas du bois de cerf provenant du bâtiment D nord.
L’élevage à l’époque mérovingienne
La plupart des études archéozoologiques concernant l’époque mérovingienne se rattachent à des sites ruraux, il faut toutefois garder en ligne de mire la finalité de ces élevages, à savoir, outre la satisfaction de besoins locaux, les échanges commerciaux avec les milieux seigneuriaux, ecclésiastiques ou « urbains ».
Dans l’ensemble du monde rural mérovingien l’alimentation repose sur le cheptel domestique (boeuf, porc, caprinés) et un complément fournit par la basse-cour (coq). La chasse n’occupe qu’un rôle minime et les espèces sauvages observées (lièvre et oiseaux) correspondent à une chasse dite « de rencontre dans les champs ». Seules les proportions de bœufs, de porcs, de moutons et de chèvres permettent de distinguer différents types de sites.
A l’échelle du nord de la France, deux modèles de sites ruraux semblent se différencier nettement :
Proportion en Nombre de Restes des trois principales espèces sur les sites mérovingiens
- La première catégorie concerne les sites ou le porc constitue entre 40 et 60% des restes, fournissant ainsi une quantité de viande non négligeable. Ce type d’économie, qualifiée d’économie de subsistance, semble favoriser une production autarcique destinée à combler les demandes locales en protéines animales.
- La deuxième catégorie rencontrée, à laquelle appartient le site de Goudelancourt, est moins fréquente. Jusqu’alors elle n’a été observée qu’en Ile de France et en Picardie.
L’élevage est fortement centré sur le bœuf. La présence presque exclusive d’individus mâles, pour la plupart âgés suggère une utilisation importante de la force animale. Le boeuf serait de fait dévolu à l’agriculture plus qu’à l’alimentation carnée. De même, l’exploitation du mouton est tout autant dédiée à la production de produits secondaires (lait et laine) qu’à la production bouchère.
Cette gestion novatrice du cheptel fait de ce site un des précurseurs de la « révolution » carolingienne.
* Centre de Recherche Archéologique de la Vallée de l’Oise à COMPIEGNE